mercredi 19 novembre 2014

De la recette d'origine au plat servi chaud !



Aujourd’hui, nous allons faire un peu de cuisine, ce qui ne devrait pas rebuter les épicuriens qui sévissent dans le monde de l’écriture ! Alors pourquoi parler de recettes ? Tout simplement parce qu’il y a quelque temps, j’ai lu, ici et là, des interventions sur les réseaux sociaux entre la mise en adéquation d’un projet avec une ligne éditoriale ou, si vous préférez, le bien-fondé des reprises et corrections pour espérer se faire publier. Cela vous semble incompréhensible ? Alors, prenez un tablier, votre toque - mais pas encore celle de chef - et suivez-moi.


Les bases de la recette ou les réalités et les grandes illusions
La comparaison entre la cuisine d'un restaurant, grand de préférence, et notre petit monde de la littérature me semblait des plus judicieuses. Vous savez donc créer une recette (une histoire) et vous avez renoncé depuis longtemps à ouvrir votre propre restaurant (auto-édition). Vous débarquez donc dans une équipe complète avec les seconds de cuisine, les commis, les sous-chefs, etc. et surtout LE chef de cuisine (l’éditeur). Un peu intimidé, vous être tout de même persuadé que votre recette tient la route et régalera les palais les plus difficiles des gastronomes, quand bien même, ils ignorent encore tout de vous. Vous pensez mériter votre place et vous avez raison de le croire, encore faut-il que le Chef vous accepte dans son équipe.

Les premiers barrages de la grande cuisine
Même si cela vous paraît logique, ne riez pas. Admettons que votre recette est un plat du terroir, bien de chez nous, ne tentez pas de le présenter à un spécialiste du sushi ou à un pizzaiolo de Naples ! Avez-vous testé votre recette auprès de vos amis, en connaissez-vous tous les ingrédients sur le bout des doigts, avez-vous estimé qui pourrait aimer et qui pourrait détester ? Et puis, est-il suffisamment bio pour se fondre dans la mode du jour et économique pour attirer l’attention d’un restaurant dont l’aspect financier demeure la première des préoccupations ? C’est avant d’entrer dans un staff de cuisine qu’il faut se poser les bonnes questions... Après, c’est souvent trop tard.

L’arrivée et l’insertion dans l’équipe
Vous remarquerez tout de suite les seconds de cuisine, les ombres du chef, ceux qui disent amen à tout, les chouchous qui vous regardent avec condescendance. Quelques rares vous feront un meilleur accueil, vous offrant même un sourire, mais dans l’ensemble, vous arrivez en terra incognita. Vous devrez faire vos preuves et c’est la même chose dans tous les grands restaurants. On commence par éplucher les patates avant de préparer un gratin dauphinois !

La soumission de la recette au chef
Avant de préparer votre plat, le chef sera exigeant et demandera à voir sur le papier. Déjà, à cet instant, tout peut s’arrêter et vos espoirs s’envoler comme un soufflé au fromage raté qui, en dégoulinant, se répandra comme votre lamentable défaite. Inquiet, vous le contemplez et croyez-moi, il peut mettre des heures à juger votre recette et ses ingrédients. Enfin, le moment libérateur arrive et il vous montre ses pianos et autres ustensiles. Avec un sourire, il vous propose de lancer votre plat et de le confectionner. Votre orgueil satisfait, votre inquiétude apaisée, vous attrapez le nécessaire et vous vous précipitez, tout seul comme un grand et votre enthousiasme va grandissant. Tout à coup, le Chef s’approche et alors que vous contrôlez la température de votre sauce au degré près, il lâche la petite phrase assassine.
— Pour votre recette, j’espère que vous accepterez mes conseils...
Et c’est à cette seconde précise, en fonction de votre réponse, que vous resterez dans l’équipe et en serez, peut-être, l’un des seconds. Ou pas. Vous marmonnez un oui, vague, peu enthousiaste et presque résigné tout en vous concentrant sur la suite.
C’est maintenant fini, votre plat est prêt à être présenté. Vous l’avez goûté mille fois, ajouté les trois grains de sel qui manquaient et ôté les deux feuilles de persil en trop. En tremblant, vous apportez l’assiette au chef...

La sanction
Il goûte et... vous attendez ! Il ferme les yeux, est-ce bon signe ou pas ? Puis lentement, il prend une deuxième portion et la garde en bouche. Après une longue et lente torture, il vous regarde enfin.
— C’est pas mal, le fond est presque bien mais la forme ne va pas ! Vous êtes prêt à suivre mes conseils ?
Si vous dites non, vous pouvez plier votre tablier, ranger vos ustensiles et aller vous chercher une autre cuisine ! Dès que vous avez dit oui, le Chef s’est détendu et il ne vous reste plus qu’à prendre des notes.
— C’est trop salé... La sauce n’est pas assez liée... La viande trop cuite et les légumes pas assez... Le piment d’Espelette est de trop... Ôtez le poivron rouge, il ne colle pas et remplacez-le par un jaune, pour la couleur... Un jus de citron vert ajoutera un peu d’acidité...
Vous notez la longue énumération des modifications à apporter et soudain, vous réalisez qu’il a raison sur bien des points. Alors, faisant profil bas, vous recommencez la recette et la présentez une seconde fois. Encore et encore. Puis la sanction finale finit par tomber.
— C’est bien, on présentera votre plat à la carte et dès demain.
Et là, vous jubilez. Mais pas trop vite, vous n’êtes pas au bout de vos épreuves !

Le plat servi chaud
Vous ne vous y attendez pas, mais dans la salle du restaurant, deux ou trois critiques culinaires vous attendent. Ils peuvent faire la pluie et le beau temps, car même appuyé par le Chef, votre recette peut encore déplaire...
En portant votre plat, vous le regardez et songez qu’il n’a plus grand-chose à voir avec votre recette d’origine. La base est pourtant la même mais le Chef sait ce qui plaît ou pas aux clients de son restaurant. C’est comme ça ! Il peut imposer ses recettes, oui bien sûr, et en même temps, il connaît l’attente des gourmets qui aiment sa carte depuis des lustres. Vous n’avez pas eu le choix et tout dépend de votre volonté à faire goûter votre cuisine un jour ou l’autre !

Vous êtes enfin second de cuisine !
Vous travaillez maintenant sous les ordres du Chef et plusieurs de vos recettes sont proposées à la carte du restaurant. Vous êtes heureux et vous contemplez la mine satisfaite des clients qui dégustent vos plats. Pourtant, vous avez d’autres idées, d’autres recettes et malheureusement, cela ne cadre pas avec le style de cuisine où vous êtes. Fort de votre expérience, vous vous lancez et rédigez d’autres idées sur un calepin. Il est temps de courir d’autres Chefs, d’autres équipes de cuisine, d’autres restaurants et maintenant, vous savez comment présenter au mieux votre nouveau plat !

Conclusion
J’ai voulu traiter ce problème épineux par le sourire et pourtant c’est un fait indéniable qui concerne tous les auteurs. Si nous n’acceptons pas de reprendre nos textes, de corriger nos écritures, nous ne serons pas publiés. C’est ainsi et arrêtez de rêver !
La démarche qui consiste à dire, mon projet est le meilleur et je refuse de le retoucher, de modifier tel ou tel passage, de supprimer telle action, est un véritable suicide littéraire pour un auteur débutant. Même les plus grands doivent s’y plier !
Si vous pensez que l’auteur qui réécrit ou modifie son texte à la demande de son éditeur est moins sincère ou moins probant que celui qui refuse de le faire, vous êtes dans l’erreur la plus absolue et pour une bonne et simple raison. À moins d’avoir accepté, en toute connaissance de cause, les rouages sociaux et fiscaux de l’auto-édition, vous aurez obligatoirement des reprises et des modifications à effectuer pour être publié à compte d’éditeur.
Autrement dit, soit vous avez envie d’intégrer une véritable équipe de cuisine afin de faire goûter vos recettes originales au plus grand nombre, soit vous vous contenterez de votre minuscule baraque à frites, au milieu du plateau du Larzac.
Pour conclure, je dois aussi vous rassurer. Vous verrez qu’avec le temps, entre votre premier plat et les suivants, le Chef interviendra de moins en moins. Vous aurez trouvé le bon dosage, les ingrédients seront devenus familiers et l’utilisation des outils ne vous causera plus de problèmes. Il est impératif de faire son expérience et d’écouter ceux qui savent. Je l’ai souvent dit, pour réussir - et j’entends par là, parvenir à se faire régulièrement publier à compte d’éditeur - il est nécessaire de faire preuve d’humilité, d’écoute et de ne jamais hésiter à se remettre en question pour faire son apprentissage. Progresser sera toujours à ce prix. Aujourd’hui, après deux ans de travail et un nombre conséquent de publications, je dois encore réécrire des passages ou modifier mes projets, j’apprends toujours et je découvre de nombreuses subtilités. Et je n’ai aucune honte à le reconnaître !

Alors, cuisine de restaurant à Paris ou baraque à frites au cœur du Larzac ?

Bonne journée !
Amitiés littéraires.

Nota bene : Je vous rassure, je n’ai rien contre le Larzac, les baraques à frites ou l’auto-édition, à chacun ses choix et ses valeurs ou ses préférences. Par contre, amis auto-édités, ne jugez pas trop vite et à l’emporte-pièce ceux qui ont fait des choix différents des vôtres. Merci.

11 commentaires:

  1. Quel mets suave et épicé tu nous sers là !.. Une pleine botte d'ironie, une pointe d'exaspération, le tout sur un lit d'évidentes constatations et de brillantes mises au point... ben, moi, qui suis fine gourmette, j'en reprendrais volontiers une petite louche !
    Bravo, cuistot ! ;)
    mc

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    1. Coucou Marie...
      Merci ! Je me doutais que tu apprécierais ce plat... Épicé comme tu les aimes ! ;)) Passe une belle journée et prends soin de toi, surtout ! Je t'embrasse.

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  2. Excellent article ! J'ai adoré. Le ton est délicieux et le contenu tellement vrai. Un plaisir. :)

    Valéry.

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    1. Merci Valéry... Je savais que tu apprécierais cette cuisine, sans pirouette ni faux-semblant... :)) Bises amicales.

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  3. C’est curieux, après m’être vu refusé deux recettes sans trop savoir pourquoi, sinon qu’une d’entre elle devait manquer de poivre, je m’apprêtais justement à décortiquer une des vôtres pour en retrouver les ingrédients. M’autoriseriez-vous à publier mes découvertes sur mon blog ? Concrètement, j’aimerais citer quelques passages de « Libres échanges » et parler du champ lexical utilisé.
    Par ailleurs, j’ai lu les premières pages de Marie-Gabrielle. Fort bien tourné !

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    1. Bonsoir Christophe,
      Vous êtes libre de publier ce que bon vous semble, cela va de soi ! Par contre, je vous invite à une certaine prudence quant à la publication de passages. Mes textes ne m'appartiennent plus, compte tenu que je ne travaille qu'à compte d'éditeur et que, par conséquent, je cède mes droits.
      Merci pour Marie-Gabrielle, l'une de mes préférées...
      Au plaisir de vous lire et ce serait très gentil de me prévenir, quand vous publierez votre article.
      Je vous souhaite une excellente soirée !

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    2. Et voilà, j’ose tout : http://extravagances.blogspirit.com/archive/2014/11/22/pourquoi-ecrire.html
      J’ai pris soin de ne citer qu’un passage dont la longueur est bien inférieure à 10% de la taille du texte original, dans le respect de la législation en vigueur.

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  4. Je suis attirée ici par la note de blog de Christophe Vagant, mais je suis avec plaisir votre prolifique carrière d'auteur, Gilles.
    Pour ne rien vous cacher, je viens grossir les rangs d'une équipe de restaurant dont vous faites partie. Ma première publication étant prévue pour début 2015...

    Votre métaphore filée ici est extrêmement juste. Espérons qu'elle ouvrira des esprits et des yeux.

    Pour ma part, je fais un choix mixte pour mon avenir d'auteure: baraque à frites et restaurant parisien.
    Dans les deux cas, je boirais du vin.

    Délicatement,
    Julie.

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    1. Bonjour Julie,
      Chouette ! Une future collègue... Alors, bienvenue, Julie même si je ne sais pas exactement dans quelle écurie nous pourrons partager le foin... pardon ! Un verre ! :))
      Pour redevenir pllus sérieux, je ne pense pas que cela ouvrira les yeux... Les auteurs désireux de se professionnaliser me comprennent et m'approuvent. Pour les autres, c'est entre l'ignorance et le mépris, souvent la moquerie. Peu importe, j'ai dit ce que je pensais...
      Au plaisir de vous croiser, Julie !
      Amicalement.

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    2. Bonjour Gilles,

      Je ne voudrais surtout pas que vous pensiez que je me moque ou que je vous méprise ! Bien au contraire, je suis sincèrement admiratif de votre productivité et de votre engagement, dont je serais bien incapable. Je pense comprendre votre choix tout à fait honorable, ainsi que votre stratégie. Je ne serais donc pas surpris que parmi les surprenantes décisions annoncées sur votre blog pour 2015, vous abandonniez l’érotisme pour vous consacrer à d’autres genres comme l’aventure ou le polar. Les commentaires laissés sur mon blog n’engagent que mon lectorat et j’y répondrai honnêtement.

      Bien respectueusement,

      Vagant

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    3. Bonjour Christophe,
      Non, je ne le pensais pas, sinon, j'aurais déjà répondu à ma manière, de façon directe et bien plus mordante... Sinon, ce serait mal me connaître.
      J'ai vu votre billet et l'ai sincèrement apprécié. Mais compte tenu des remarques, commentaires et autres raccourcis très "suaves et respectueux" de vos groupies, je me suis abstenu de répondre ou de commenter, à la suite de votre article. Je n'ai pas de temps à perdre en polémique et encore moins à relever la médiocrité de certains commentaires désobligeants qui - et je vous le dis clairement au passage - vous desservent complètement. Maintenant, je n'ai pas à convaincre et l'on a le droit absolu de penser, de dire ou d'affirmer que j'écris de la merde rose au kilomètre. Soit ! En attendant, grâce à mes éditeurs, de cette merde, j'en ai fait des friandises goûtées et appréciées par des milliers de lecteurs et de lectrices.
      Pour conclure, permettez-moi un avis sincère et uniquement pour vous : Christophe, vous vous gaspillez et c'est dommage. Je pense que vous méritez beaucoup mieux que cela.
      A bon entendeur...

      Amitiés.

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