Cette question me revient
très régulièrement, que ce soit en discutant avec un lecteur, lors d’une
dédicace et le plus souvent en interview. Je me rends bien compte que ma
réponse n’est pas toujours très claire. Alors, entre deux chapitres d’un roman
que j’écris actuellement, j’ai décidé de me poser pour y répondre plus en
profondeur. Le sujet est vaste et nébuleux aussi, n’attendez pas une recette
miracle qui pourrait vous sortir du syndrome de la page blanche. Ce n’est pas
le but de ce billet et ce que j’explique ci-dessous n’engage et ne concerne que
mon expérience. Pour en savoir plus, suivez-moi dans mes réflexions.
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■ En préambule, inné ou acquis ?
Attention ! Je parle bien d’inspiration, d’envie
d’écrire et non d’un quelconque talent. Pour ma part, j’ai toujours eu envie d’écrire
et ce, dès mon plus jeune âge. J’ai rédigé mes premiers poèmes et autres textes
vers 9 ans, environ. Pour expliquer ce désir ardent qui m’habitait déjà, j’ai
lu très tôt et dévoré des livres, y compris ceux qui n’étaient pas destinés au
gamin que j’étais. Certains grands auteurs m’ont refilé le virus. Là, je pense
à Jules Verne, Dumas, Saint-Exupéry, Kipling, Henri de Monfreid, Hemingway, Hugo,
Jack London… Et du coup, est-ce la lecture qui m’a inspiré ou avais-je le virus
dans le sang ? Eh bien, je ne sais pas répondre.
■ Faut-il définir l’inspiration ?
Si cela paraît évident à quelqu’un qui écrit, ça l’est
peut-être moins pour une personne lambda. Ensuite, existe-t-il une ou plusieurs
inspirations ? Avant de rentrer dans un débat plus philosophique que
littéraire, je pense pourvoir dire que chaque auteur a son inspiration, cette
petite voix dans la tête qui lui souffle des idées de scénario et qui lui
permet d’inventer une histoire. En l’écrivant, je suis obligé de sourire, car
si l’on parle de « petite voix dans la tête », on tombe direct
dans le premier symptôme de la schizophrénie. Que nenni ! Les auteurs ne
sont pas tous atteints d’une déficience psychiatrique, mais là encore, on peut
avancer l’hypothèse que le cerveau d’un écrivain — ou de n’importe quel
autre artiste — ne fonctionne pas comme celui des autres. On en tire une
première définition assez curieuse…
« L’inspiration est un dysfonctionnement
positif et artistique, plus ou moins actif, de certains esprits »
■ Ça vient de l’intérieur ou de l’extérieur ?
Eh bien, les deux, mon capitaine ! Non, je ne
plaisante pas. Un auteur puise en lui l’idée, c’est son esprit créatif qui
engendre l’intrigue, invente les personnages et qui relie le tout pour en faire
un roman, quel que soit le genre littéraire. Mais pour cela, l’imaginaire doit
être nourri, informé, alimenté par des ingrédients qui n’existent pas
naturellement en soi. Il faut remplir le creuset de données pour que l’alchimie
fonctionne et celles-ci sont obligatoirement extérieures. Je m’explique. Pour écrire
un polar, il faut un minimum de connaissances sur le sujet, la maîtrise d’un
vocabulaire précis et l’inspiration pourrait en découler facilement. Et
pourtant non, c’est encore insuffisant. J’évoquais l’alchimie, car c’est le bon
mot. Même avec les bons ingrédients, un creuset et la recette, c’est encore
insuffisant. L’inspiration est une nébuleuse difficile à concevoir et encore plus
à appréhender. Pour schématiser mon idée, je dirai donc que ça vient de l’extérieur,
c’est stocké à l’intérieur dans la mémoire et restitué sous forme d’un texte.
Pour que la magie soit opérante, elle nécessite une machine, une sorte de
moulinette et c’est cet outil que j’appellerai inspiration.
■ D’om viennent ces « données » ?
C’est la base de l’inspiration et il y a une autre
vérité qui en découle directement. Si la matière première existe, l’auteur ne
peut pas souffrir du syndrome de la page blanche. La moulinette — ou l’inspiration
— restera toujours féconde tant que le cerveau conservera un esprit ouvert au
monde. Dans ce cas, quelles sont ces données ?
Je répondrai simplement que c’est la vie extérieure,
dans sa globalité en général et certains éléments en particulier, en fonction
de ce qu’écrit l’auteur. Pour moi, tout est sujet à intrigue ! Il me
suffit de regarder les informations, de m’enivrer de documentaires pour sentir
émerger en moi des dizaines de scénarios. Puis il y a un autre élément d’importance…
l’expérience !
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L'auteur... il y a (très) longtemps.
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■ Oui, mais quelle expérience ?
Encore une fois, c’est un vaste domaine relativement
compliqué. Comprenez bien qu’il n’y a pas de règles précises ni de ligne
conductrice à suivre impérativement. À chacun sa vie ! N’oubliez pas non
plus cette célèbre citation :
« L’expérience est une bougie qui n’éclaire
que celui qui la porte »
Enfant, j’ai décidé très tôt que j’aurai une vie
différente. Entendez par là, une vie riche en aventures, pleine de voyages, de
rencontres et de découvertes. Né dans un milieu ouvrier, pour mener à bien cet
objectif, j’ai signé et me suis engagé dans l’armée. Je ne reviendrai pas sur
cette période de ma vie en détail, mais l’expérience que j’en ai tirée m’a
permis plus tard d’avoir de quoi écrire avec suffisamment de crédibilité.
Mon chemin de vie a été compliqué, très souvent
périlleux, parsemé d’accidents, d’embûches et de désillusions. Je peux le dire,
j’ai souffert et souvent craint pour ma vie, j’ai subi les peines de cœur,
pleuré des amis tombés au feu et au-delà des conflits, en-dehors de l’armée, il
y a eu les missions humanitaires. De celles-ci j’ai tiré mes plus grandes
leçons de vie. Voir mourir un enfant vous change complètement et plus tard,
quand vous écrivez des scènes dramatiques, les mots que vous employez viennent
du plus profond de votre âme. Ils sonnent vrais, car c’est du vécu, aussi
atroces soient-ils. Je le disais plus haut, j’ai voulu une vie différente et j’en
ai payé le prix fort, cash et sans retours. Ce mode de vie m’a forgé un esprit
différent et, pour moi, l’inspiration vient en grande partie de mes expériences
passées, bonnes ou moins bonnes.
■ La curiosité ou la mobilisation des cinq sens !
Au-delà du chemin de vie, de l’expérience acquise,
quelle qu’elle soit, il y a les rencontres et la curiosité naturelle que doit
entretenir un auteur. Écouter un maître verrier vous parler des variations du bleu
de Chartres… découvrir un fondeur de cloches à l’ancienne qui sait vous parler
avec amour de ses moules de sable…regarder un maçon utiliser le fil à plomb
pour vous expliquer comment il monte un mur… tout devient propice à l’inspiration
pour un auteur digne de ce nom. Ça s’appelle la curiosité ou encore, l’ouverture
d’esprit. On peut apprendre de tout et de n’importe qui, à commencer par la
nature, les hommes et leur métier, les rencontres privilégiées… par ces dernières,
j’évoque, par exemple, une discussion avec un magistrat ou un gendarme, quand
vous écrivez des polars. Faire feu de tout bois pourrait être la devise des
auteurs. Par conséquent, il faut toujours avoir tous les sens en alerte, apprendre
et savoir écouter, avoir bonne mémoire, faire preuve d’humilité en toutes
circonstances. Le monde autour de vous est votre nourriture, encore faut-il
avoir suffisamment de sensibilité pour le comprendre et en extraire la
meilleure des inspirations.
■ L’expérience, l’écoute et l’environnement, est-ce
la seule solution ?
Je suis obligé de mettre un bémol à cette question.
Pour moi, oui, pour d’autres qui sont des génies de l’écriture, non. Ainsi, je
me souviens d’une jeune fille de 17 ans qui avait reçu les honneurs du 20 h sur
TF1, signée par une grande maison d’édition. Je me souviens fort bien de mes 17
ans et je l’avoue sans honte, je n’aurais jamais pu écrire un roman capable d’attirer
l’attention du monde éditorial. Donc, ipso facto, cette jeune fille est bien
meilleure que moi, de toute évidence. Eh bien, oui… et non ! Quelques
années plus tard, elle n’a toujours pas publié un second livre et j’en suis
navré pour elle. D’un autre côté, il y a aussi ceux qui réussissent, sans
expérience particulière. Tant mieux pour eux, mais encore faut-il durer. Ce n’est
pas le premier roman qui est difficile, mais bien le second et les suivants. Comme
quoi, l’inspiration est joueuse, sans règles et des plus infidèles !
■ Le cerveau d’un auteur est donc différent ?
Je le crois très sincèrement sans toutefois savoir m’expliquer
de manière claire, concrète, voire scientifique. À ce jour, je n’ai pas connu
la page blanche, mais qui dois-je remercier ? La chance ? Mon destin ?
Mon esprit créatif ? Difficile à dire. Il m’est arrivé de me mettre en
pause, car j’avais des soucis extérieurs et là, c’était carrément l’envie d’écrire
qui n’était plus présente. C’est tout autre chose et fort heureusement, ça ne
dure jamais bien longtemps.
Je pense que la différence est une évidence, une
vérité acquise et irréfutable. Un auteur pense différemment, c’est quasiment obligatoire
pour pouvoir espérer durer. Si l’inspiration est pratiquement indéfinissable, c’est
une constante primordiale, aussi importante que le talent, la technique d’écriture
et l’imaginaire d’un auteur. Sans elle, rien de possible et le plus fou, c’est
qu’il est presque impossible d’en éclaircir les tenants et aboutissants.
■ L’inspiration, amie ou ennemie de l’auteur ?
C’est un point positif, bien entendu, mais en posant
la question, je pensais à autre chose. Une inspiration bouillonnante, vraiment
active permet à l’auteur d’écrire, encore et encore. Mais le mieux est l’ennemi
du bien ! En effet, pour certaines maisons d’édition, un auteur qui écrit « trop »
signifie obligatoirement qu’il écrit mal. Oui, je prêche pour ma paroisse, vous
l’avez compris. Je ne dirai peut-être pas tous les jours, mais très
régulièrement, j’ai des idées de romans, de séries, de nouvelles et là, il me
faut une barrière, c’est impératif. Si je m’écoutais, je sortirai un roman tous
les trois mois et si mes lecteurs fidèles seraient ravis, cela me desservirait
plus qu’autre chose. C’est aussi ça, l’inspiration. Un pouvoir magique qu’il
faut apprendre à maîtriser, à dominer pour s’en servir au mieux sans en devenir
esclave, soumis et aveugle. Si vous ne le saviez pas, être auteur est un vrai
métier qui s’apprend avec le temps. et pour bien circonscrire l’inspiration, il
faut avoir trouvé la bonne éditrice. Et ça, c’est ma chance.
■ Pour finir, l’inspiration, ça s’apprend ou pas ?
C’est tellement subjectif que j’aurai tendance à dire
non. Et pourtant, avec le temps, on peut l’acquérir et apprendre à la maîtriser
comme d’autres outils nécessaires à la l’écriture. Après tout, un scénario, ça
se construit, ça s’élabore, ça se travaille, d’abord sur le papier, en jetant
des idées d’abord confuses qui deviendront claires par la suite. Le tout est d’avoir
une idée de départ, c’est le minimum. Ensuite, l’intrigue peut s’établir en
réfléchissant bien.
Je le reconnais, quand j’ai une idée pour un polar, j’ai
toute l’histoire qui se construit toute seule dans ma tête. Est-ce une chance
ou l’expérience qui me permet de le faire ? Je n’en sais rien. Pour moi,
ça fonctionne comme ça et ce sera forcément différent chez un autre auteur.
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La quête de l'inspiration
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■ Conclusion
J’espère que vous cernez un peu mieux le problème.
Pour un auteur, c’est très difficile d’expliquer d’où lui vient son inspiration
et sa faculté à écrire des romans. J’ai tenté de le faire avec ce billet, sans
savoir si je pourrai y parvenir. C’est assez long, et pourtant, ai-je transformé
mon essai ? Je l’ignore. Cela dit, maintenant, vous comprenez mieux
pourquoi je reste évasif quand on me pose la question. Le subjectif est
difficile à décrire, sa compréhension et son explication restent improbables et
il n’existe pas de définition générale qui conviendrait à tous les créatifs.
Après tout, le métier d’auteur n’est-il pas une
passion ? Il y règne une espèce de magie à jouer avec les mots, à l’aide
des 26 lettres de l’alphabet et de quelques bonnes idées. Alors, peut-on
définir la magie ? La réponse vous appartient…
Excellente journée à toute et tous !
Amitiés littéraires.