mercredi 8 juillet 2020

L'interview du spécialiste tibétain, Bernard Grandjean !


Je vais être sincère, Bernard m’intriguait depuis longtemps et j’ai été ravi de lancer cette interview pour la sortie de son dernier roman, Tigres et châtiments, aux Éditions du 38. Vous le savez maintenant, j’aime questionner mes collègues afin de découvrir l’homme ou la femme qui se cache derrière la plume. Pour en savoir plus, suivez le guide !



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L’interview 
Grâce à Anita Berchenko, notre éditrice commune, je savais que Bernard Grandjean était à part dans l’écurie et, il faut bien le reconnaître, cet homme est un érudit, un puits de science dès qu’on aborde le Tibet et surtout, un homme de grande profondeur. Il reste discret, ne fait jamais beaucoup de bruit et, comme on pourrait le dire familièrement, il « envoie du lourd » ! Sans plus tarder, je lui cède la parole et je vous souhaite de passer un bon moment.

 

I - VOUS 

Parlez-nous de vous. Qui êtes-vous, quel est votre premier métier, votre parcours, votre lieu de vie, etc. ? 
Je suis né en 1946 d’un père franc-comtois et d’une mère d’origine alsacienne ; autant dire que je suis complètement des « pays de l’Est » ! Après une adolescence à Besançon, j’ai suivi des études de droit et de sciences politiques à Strasbourg, ville où j’ai ensuite travaillé, dans les services de l’actuelle Eurométropole. J’y ai été en charge des dossiers européens, puis des affaires culturelles. Je suis marié sans enfant. Ma femme, Laurence Winter, a publié il y a quelques années un best-seller régional, « Ciel, mon mari est muté en Alsace », qui s’est vendu à plus de 100 000 exemplaires. Je suis donc non seulement auteur, mais aussi le héros d’un livre, même si je ne suis pas venu vivre en Alsace par mutation mais par choix ! Par ailleurs, je ne possède ni chien ni chat, mais j’ai une grande bibliothèque.



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Quelles sont vos passions en dehors de l’écriture ? 
Il y en a un certain nombre, et d’abord l’art (sans exclusive : contemporain, moderne ou ancien), l’archéologie, l’ethnologie… J’ai toujours beaucoup voyagé, même si à présent mes voyages m’emmènent rarement hors d’Europe. Dès ma jeunesse, je me suis passionné pour les arts asiatiques ; à une certaine période, je séjournais en Inde deux ou trois semaines chaque année. J’ai un amour particulier pour les cultures himalayennes, nourri par la visite de nombreuses régions de la sphère culturelle tibétaine, comme le Ladakh, le Sikkim, le Bhoutan, la Mongolie, le Népal… J’ai aussi un amour vif pour la nature, la montagne, mais aussi la campagne, les champs, les bois, les ruisseaux…

 

II - VOTRE ACTIVITÉ D’AUTEUR 

Depuis combien de temps écrivez-vous ? 
Pour autant que je me souvienne, j’ai toujours écrit ; mon premier roman, sans doute très mauvais, doit dater de mes treize ans. J’ai commencé à publier tard, de façon à être sûr d’être classé dans la Pléiade parmi les auteurs du XXIe siècle (je plaisante).

Quel est votre genre littéraire de prédilection ? Envisagez-vous d’en essayer d’autres ? 
Je suis un raconteur d’histoire, et mon imagination a besoin d’espace pour galoper : le roman est donc mon genre favori. Je me suis essayé à la nouvelle, un exercice extrêmement difficile auquel j’ai rapidement renoncé. Je ne suis vraiment chez moi que dans la vie contemporaine et le roman historique, les genres science-fiction ou Fantasy étant hors de portée de mon imagination. Je n’ai jamais non plus visé spécifiquement le jeune public, mais je suppose que tous mes romans sont lisibles sans dégâts dès l’adolescence.

Combien de temps consacrez-vous à l’écriture dans la journée ? Des moments privilégiés ? 
C’est tôt le matin que je me sens le plus créatif. Je consacre à l’écriture plusieurs heures par jour, mais cela varie selon les obligations du quotidien. Comme je suis perfectionniste, j’avance lentement. S’il fallait afficher absolument une moyenne, je dirais trois heures d’écriture par jour, généralement fractionnées.



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Avez-vous une méthode particulière pour écrire un livre ? Avez-vous des ficelles, des trucs, des manies, des objets fétiches, etc. ? 
J’écris sur un ordinateur portable, jamais à la main car je serais incapable de me relire. Je peux écrire partout, mais à condition que le calme règne. Je serais incapable d’écrire sur un coin de table de bistrot.
On dit parfois qu’il y a deux façons d’écrire un livre : comme un architecte, qui prépare des plans millimétrés, fidèlement exécutés ensuite, ou comme un jardinier, qui plante ici, taille là, vagabonde... Je suis clairement un jardinier, et parmi les plus désordonnés. Le texte se développe en rhizome, et une fois parvenu à la fin du livre, je suis souvent obligé de tout reprendre parce que de nouveaux développements se sont imposés à mon esprit. J’ai souvent deux romans sur le feu, de genres différents ; ainsi, quand l’inspiration n’est pas là pour l’un, je passe à l’autre.
Je m’efforce d’écrire de façon simple et de faire partager au lecteur une impression en peu de phrases ; la recherche du mot le plus juste, le plus expressif, est un combat permanent. C’est particulièrement vrai pour les scènes amoureuses (mes personnages sont souvent jeunes et passionnés !), que je ne décris pas (ça, c’est un autre genre de littérature) mais où je reste dans la suggestion – qui est par ailleurs, comme on le sait, plus « efficace » que la description. Mon idéal serait d’écrire comme Hergé dessinait : selon la technique de la « ligne claire ».
Je me trouve par ailleurs régulièrement confronté à un problème que les auteurs connaissent bien : la prise du pouvoir par les personnages. Il arrive un moment où ils prennent une sorte de vie propre, qui vous oblige à réorienter votre texte d’une façon que vous n’aviez pas envisagée au départ. Les auteurs doivent toujours se méfier de leurs personnages.

Que préférez-vous dans votre activité d’auteur ? Avant, pendant, après l’écriture ? D’autres moments ? 
Mon plus grand bonheur réside dans l’acte d’écrire lui-même, en particulier dans ces instants si rares où la phrase juste et belle coule au bout des doigts comme l’eau d’une source claire… Mais la recherche du mot et de l’idée sont aussi des plaisirs très forts (surtout quand on les trouve !).
La documentation que nécessitent la plupart de mes romans me prend de longues heures, car je veille à ne jamais tromper le lecteur. Ces recherches dans ma bibliothèque sont passionnantes et sources d’idées nouvelles. Dans la hiérarchie de mes bonheurs d’auteur, je les place tout de suite après l’écriture.
A contrario, le moment que je déteste le plus est celui où le dernier mot de la dernière phrase est écrit. Une forme du syndrome de post-partum bien connue de la plupart des auteurs.

Envisagez-vous l’écriture comme une activité professionnelle à temps plein ? 
On sait bien qu’il n’existe en France qu’une poignée d’écrivains en position de vivre uniquement de leurs livres, et je n’ai jamais eu la prétention de chercher à en faire partie. La plupart des auteurs ont une activité professionnelle parallèle, souvent liée à l’écrit (édition, journalisme…), et quand un roman d’un auteur pourtant connu se vend 3 000 exemplaires, on estime que c’est déjà un beau succès. Dans ces conditions, difficile d’en vivre…



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Dans votre bibliographie, quel livre préférez-vous et pourquoi ? 
Quelle cruauté que d’obliger un père à choisir parmi ses enfants ! Je vais m’en tirer en disant que parmi tous mes livres, il en est deux qui me sont particulièrement chers. D’une part, le premier, « le Jardin des Mensonges » (titre maladroit, sans aucun rapport avec le sujet), sorti en 1999. J’avais mis dix ans à écrire un très épais roman sur la civilisation du Tibet, alors déjà considérée en grand danger de disparaître sous l’effet des destructions et de la sinisation du pays. Ne reculant devant rien, j’en avais fait une sorte de tableau général, en prenant appui sur la vie du sixième Dalaï lama, jeune poète amoureux des filles et du vin, et pour tout dire assez anarchiste. S’agissant de mon premier livre, j’ai toujours eu une certaine tendresse pour lui, et pour ce personnage au destin tragique. 
Mon autre livre préféré, c’est toujours celui qui vient, celui à naître, en l’espèce « Tigres et châtiments » ; je n’insiste pas, je sais que l’on va en reparler plus loin.

Racontez-nous l’aventure de votre première publication et comment s’est-elle passée ? 
À l’origine, je n’avais pas envisagé de publier « le Jardin des Mensonges », écrit pour mon seul plaisir. J’ai changé d’avis sous la gentille pression de plusieurs personnes auxquelles j’avais fait lire le manuscrit, et un éditeur franco-indien spécialisé sur l’Asie l’a tout de suite accepté... tout en me le faisant réécrire, car il n’était vraiment pas publiable en l’état ! À sa parution, il avait fait l’objet d’une critique bienveillante de François Pommaret, éminente ethnologue et tibétologue du CNRS. Cela avait été pour moi une reconnaissance et un encouragement. Comme plusieurs autres de mes romans par la suite, il s’était même retrouvé sur les étagères de la bibliothèque de « Langues O ». N’étant pas tibétologue moi-même, et conscient que l’érudition peut vite lasser le lecteur, je me suis orienté ensuite vers l’écriture de textes toujours destinées à faire connaitre la civilisation et la cause tibétaine, mais où l’humour, les aventures et les enquêtes tenaient la place principale.

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Avez-vous des projets en cours, à plus ou moins long terme ? 
J’ai constamment des projets en tête, mais la question du temps qui me reste commence tout doucement à se poser. J’aimerais continuer à publier des épisodes de la série « Crimes en Himalaya ». Je ne me lasse pas de mes personnages, notamment le docteur Tenzin Mingour, sage médecin tibétain, et Gopika, jeune indienne jolie et délurée, pleine de courage et d’audace mais aussi régulièrement visitée par le doute. En écho à ce que je disais plus haut sur le pouvoir des personnages, Gopika m’a complètement mis sous sa tutelle, à tel point que j’ai parfois l’impression d’écrire sous sa dictée.
J’ai aussi en cours une sorte de western tibétain, situé au Moyen-Âge, à l’époque des invasions mongoles. Mais je n’y travaille que par intermittence et il me faudra encore plusieurs années pour en venir à bout.
J’aimerais aussi continuer à écrire dans la veine d’une série également publiée aux Éditions du 38, « Incursions temporelles ». J’y fais s’y croiser joyeusement les XVIIIe et XXIe siècle, étant bêtement persuadé (et bien que n’étant pas Einstein) que le temps n’est pas linéaire et que le passé et bien plus présent qu’on ne le pense.

Quels sont vos auteurs préférés et quel est le dernier livre que vous avez acheté avant de répondre à cette interview ? 
Je dois avouer que je suis autant relecteur que lecteur. Il ne se passe pas d’année sans que je ne revienne à Jane Austen ou Marcel Proust. Je lis très rarement les auteurs français médiatiques, qui sont pour moi en général décevants. En revanche, je suis un grand amateur de littérature japonaise ; pas seulement des auteurs classiques, comme l’insurpassable Soseki, mais aussi de jeunes auteurs merveilleux. Je suis en train de lire « la fille de la supérette », de Sakaya Murata : un régal !

 

III - VOTRE ACTUALITÉ D’AUTEUR

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■ Quel est votre prochain titre à paraître ? Son genre ? Chez quel éditeur et quand sera-t-il publié ? 
« Tigres et Châtiments », sixième épisode de la série « Crimes en Himalaya », sort ces jours-ci aux Éditions du 38. J’ai mis dans ce roman, comme dans les précédents, beaucoup d’éléments qui me tiennent à cœur : l’Inde, qui me fascine toujours après tant d’années, la question du Tibet, qui me désole de plus en plus, la flore et la faune (les tigres !) des collines sous-himalayennes… Et bien sûr, les personnages chers à mon cœur dont j’ai parlé plus haut.

Pouvez-vous nous parler de sa genèse, de ce qui vous a donné l’idée de l’écrire, la phase d’écriture, les difficultés rencontrées, vos recherches, etc. ? 
Dans chacun de mes romans « asiatiques », je m’efforce de mettre en lumière un élément culturel ou un fait particulier. Dans « Tigres et Châtiments » apparaissent des sâdhus, ces mystiques hindous dont l’aspect parfois effraie ; j’y évoque au passage le tantrisme, sujet de fantasmes en Occident. Le royaume du Bhoutan, pays du « bonheur national brut », était historiquement beaucoup plus étendu vers le Sud qu’aujourd’hui. Ce sont les colonisateurs anglais de l’Inde qui l’ont confiné par les armes en petit état himalayen. Cet épisode historique m’a donné l’idée d’une intrigue qui jouerait sur cette mobilité de la frontière entre Bhoutan et Bengale. Tout peut servir de point de départ de roman à un auteur : un fait, un paysage, une impression, ou même juste un mot qui a sonné étrangement à son oreille ! 

Auriez-vous un scoop, un secret, une histoire ou une exclusivité à révéler sur ce livre ? 
L’un des enjeux du roman est de savoir si Gopika va ou non parvenir à épouser son fiancé, le colonel Sonam Lepcha. La date a été fixée, mais l’implication du fiancé dans une enquête complexe risque fort de repousser à loin le mariage. Gopika va se jeter de toute son énergie dans cette affaire … mais le dénouement est un secret que je me refuse de révéler, même sous la torture.

Lien d'achat : https://www.editionsdu38.com/38-rue-du-polar/crimes-en-himalaya/tigres-et-châtiments/ 


IV - VOTRE PORTRAIT CHINOIS EN 10 QUESTIONS

Si vous étiez... 

Un animal ? 
Un chien, ni de chasse ni policier, plutôt chien de berger.
Une couleur ? 
Le vert. 
■ Le titre d’un film ? 
Les sept Samouraï. 
■ Une devise ? 
Pessimisme de la pensée, optimisme de l’action. 
■ Un(e) acteur(trice) ? 
Colin Firth. 
■ Un personnage historique ? 
Charles-Quint. 
■ Un paysage naturel ? 
La chaîne himalayenne du Kangchenjunga, quand le soleil matinal illumine les pics l’un après l’autre comme des lampes qu’on allume. 
■ Un héros de littérature ou de BD ? 
Tintin, bien sûr. 
■ Une chanson ? 
Parlez-moi d’amour. 
■ Une œuvre d’art ? 
Le chat égyptien du Musée du Louvre (en fait une chatte, la déesse Bastet). 


V - VOTRE BIBLIOGRAPHIE



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■ Aux Éditions du 38 : 
Série Crimes en Himalaya :
Le talisman tibétain
Les évadés du Toit du Monde
La vallée du yak sauvage
Complot au Sikkim
Panique à l’hôtel Kangchenjunga
Tigres et châtiments
Roman policier :
Meurtre au moulin de la Zhern
Roman historique :
Le testament de la comtesse des ténèbres
Collection Incursions temporelles :
La demoiselle de Rosling
Le voyage de Ziska 

■ Aux Éditions Kailash : 
Le jardin des mensonges
L’affaire du manuscrit tibétain
Le mystère des cinq stupas
Une vengeance tibétaine
Le médecin de Lhassa
Le jeu du tigre et des antilopes
Opération Grand Véhicule
Le collier du Bodhisattva
Le dragon dans le jardin de thé
La reine népalaise
Meurtres au Bhoutan 

■ Aux Éditions Tensing : 
Moi, Das, espion au Tibet
(disponible en e-book Kindle suite à la cessation d’activité des éditions Tensing). 

■ Aux Éditions Oberlin (Strasbourg) : 
Tibet et médecines sacrées
(collectif, avec Claude B. Levenson, Fernand Meyer et autres)

 

VI - VOTRE TRIBUNE D’EXPRESSION LIBRE 

Une tribune en forme de deux plaidoyers, l’un en faveur de la lecture, l’autre en faveur du Tibet.
J’ai eu la chance de naître dans une famille où l’on portait au livre un culte quasi religieux. Dès l’enfance, la lecture a nourri mon imaginaire, et m’a donné le goût de l’écriture. Parents, incitez vos enfants à lire, que ce soit sur papier ou sur écran ! Le texte qui fait voyager l’esprit permet mieux que toute autre activité de développer la créativité, une qualité indispensable à tous les aspects de la vie, et dont tant de gens sont dénués. Et n’oublions jamais que l’imagination est un muscle : si on ne la fait pas travailler, elle s’étiole…
Mon second plaidoyer sera en faveur Tibet, qui est, comme je l’ai dit plus haut le socle majeur de mon travail de romancier. Mon souci n’est pas d’ordre religieux, mais culturel et forcément politique, né de la fascination qu’a exercé sur moi cette étrange civilisation du Pays des Neiges dès que je l’ai découverte. Or, ce miracle de l’esprit humain est en train de disparaître, écrasé par le bulldozer d’un colonialisme chinois impitoyable. Avec la prise de pouvoir des Chinois à Lhassa, la capitale du Tibet, en 1959, sont venues les premières famines, les destructions systématiques, les massacres. Aujourd’hui, la sinisation s’accélère. La langue et la culture du Tibet sont en perdition, la nature, jadis si respectée, est pillée sauvagement par les puissants groupes affairistes chinois. La disparition de cette fabuleuse civilisation nous laissera tous plus pauvres.

 

VII - LES MOYENS DE VOUS SUIVRE ET DE VOUS CONTACTER 

Site officiel : http://bernardgrandjeanromancier.blogspot.com/ 
Page Facebook : https://www.facebook.com/Bernard.Grandjean.Romancier/ 
Contact : bernard.grandjean1@mac.com 


Excellente fin de journée !
Amitiés littéraires.

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