dimanche 1 novembre 2015

La solitude de l'auteur ou l'envers du décor !



J’ai longuement hésité à rédiger ce billet puis, poussé par des événements qui me touchent de près, par un certain ras-le-bol aussi et surtout, par les fausses idées véhiculées de toutes parts, j’ai pensé que ce serait une bonne initiative. De temps en temps, c’est bien de remettre les pendules à l’heure, les barres aux T et les points sur les I. La vie d’auteur n’est pas un modèle de simplicité, loin s’en faut !


C’est quoi, la solitude de l’auteur ?
C’est facile, si vous écrivez des romans ou des nouvelles, peu importe le genre ou le mode d’édition, vous savez déjà de quoi il retourne.
Pour les autres, il suffit d’imaginer ce que représente notre travail : Faire des recherches, creuser un sujet, écrire, réécrire, recommencer encore et encore, envoyer à l’éditeur, recevoir le retour et entamer le travail d’editing (reprises et corrections), signer le contrat, attendre la sortie, enchaîner sur la promotion, les interviews, l’animation des réseaux sociaux, du blog et puis... tout recommencer avec le titre suivant. Autrement dit, des heures de présence devant un ordinateur, vous rendant imperméable à votre environnement.
Par conséquent, quand vous êtes plongé dans cet exercice difficile qu’est l’écriture, le monde autour de vous a disparu et cela a un prix : la solitude. Bien sûr, si vous n’écrivez qu’un titre par an, vous avez des chances d’y échapper. Je pense surtout à ceux qui, comme moi, associent l’écriture à une réelle activité professionnelle.

Et alors, qu’est-ce que cela entraîne, cette solitude de l’auteur ?
C’est très simple, vous êtes quelqu’un d’insupportable pour qui ne partage pas votre modus vivendi ! Imaginez un mur sur lequel tout ou presque rebondit et vous aurez la symbolisation parfaite de ce que vous représentez aux yeux d’autrui : un mur ! Ajoutez que l’on vous prendra pour un cinglé qui vit dans ses rêves, un égoïste indifférent aux autres, soulignez le tout avec votre hypersensibilité qui sera bien cachée par ce même mur et vous avez un tableau final qui sera encore loin de la vérité.
Commençons par les détails vraiment professionnels, c’est là que la solitude creuse les fondations de son nid.

Le côté professionnel de la solitude de l’auteur
Je ne vais donner que quelques exemples, ceux qui écrivent s’y reconnaîtront facilement et ne pourront qu’en sourire.

♦ L’un des pires demeure la réaction devant votre écran en lisant un retour de lecture infect qui ne vise qu’à vous blesser, signé anonymement et contre lequel vous resterez impuissant. Dans cette lignée, une chronique du même acabit qui s’en prend à un collègue que vous connaissez bien et que vous appréciez.
♦ Les débats parfois houleux sur les réseaux sociaux dans lesquels vous ne pouvez pas réellement intervenir pour dire ce que vous pensez. Il ne faut pas perdre de vue qu’en étant publié, vous ne pouvez pas vous permettre de tout faire, de tout dire, de tout écrire. Quoique... en y réfléchissant bien...
♦ Exprimer le fond de votre pensée et monter aux créneaux quand X ou Y fait preuve d’homophobie, de xénophobie ou d’un jugement politique à contrario de vos opinions. Difficile de résister parfois. Pourtant écrire, se faire publier, induit un devoir de réserve indispensable !
♦ Vous êtes auteur érotique ? Attendez-vous au pire... Chacun voit midi à sa porte, mais souvent le lecteur confond vos écrits avec votre vie sexuelle et du coup - sans jeu de mot ! - vous devenez quelqu’un de très attirant. Les propositions, plus ou moins honnêtes, pleuvent alors sur votre boîte mail. J’imagine le cauchemar pour mes collègues féminines...
♦ Ces instants où vous réalisez que votre intrigue ne tient plus car vous avez oublié un détail très important. Le pire, c’est quand vous avez fini d’écrire votre roman d’un million de caractères...
♦ Les sauvegardes ! Ah, les sauvegardes sont des moments de grande solitude. Vous venez de finir votre roman et hop ! l’ordinateur vous lâche. Bien entendu, votre dernière sauvegarde remonte au prologue. Bah ! Que trois cents pages à réécrire...
♦ Attendre les réponses des éditeurs, surtout au début de votre carrière, et recevoir des lettres-types, même pas personnalisées, avec un banal refus pour votre premier texte. Il faut beaucoup de volonté, d’énergie et de courage pour rebondir après le dernier courrier de refus. La traversée du désert, vous connaissez ? Elle se fait toujours en solitaire.
♦ La page blanche, au beau milieu d’un récit, sans savoir pourquoi ni comment cela vous arrive tout à coup, au beau milieu d’un projet que vous sentiez pourtant très bien. Pire, au tout début... Moment de stress fatidique et remise en question obligatoire.

J’en passe et des meilleurs, la liste est interminable. Ce sont là les premiers aspects de notre solitude, celle que nous connaissons tous, avec plus ou moins de recul, de vécu et de capacité à résister. Passons au côté vie privée.

Le côté privé de la solitude de l’auteur
Eh oui, malheureusement, cette solitude qui touche votre activité professionnelle finira par contaminer votre vie privée, de manière plus ou moins profonde, et contre laquelle vous ne pourrez rien faire de plus que précédemment.
Pour comprendre, n’oubliez pas l’image que vous renvoyez à votre entourage : un cinglé assis devant un ordinateur qui ruine ses claviers à tour de bras, réfugié derrière un mur impénétrable, sans oublier vos attitudes, vos silences, vos absences et à ce qui pourrait passer pour de l’indifférence. Bref, tout ce que vous pouvez susciter auprès d’une personne normale, ayant un travail normal, une vie normale, etc. et qui ne peut pas comprendre ou accepter votre investissement. Sauf exception... trop souvent rare !

♦ Le plus difficile, c’est le conjoint. Deux cas de figure se présentent alors. Vous vivez avec la bonne personne. Ou pas. Et croyez-moi, l’herbe dans le champ d’à-côté est toujours plus verte que dans le vôtre. Si ce n’était pas encore suffisant, il y aura toujours des vautours prêts à fondre sur votre moitié pour pallier à votre absence, même si elle n’est qu’apparente. Restons positif, le couple survit dans la majorité des cas.
♦ Les enfants ne comprennent pas pourquoi vous ne jouez pas avec eux et difficile de leur dire que votre héros est sur un bateau en train de couler, que vous avez la suite du récit en tête et que vous devez l’écrire. Là. Tout de suite. Les enfants comprennent moins que le conjoint et c’est d’une logique implacable.
♦ La famille et ses jugements de valeur. Votre sœur qui vous rigole au nez, votre cousin qui se moque de vos livres, le tonton qui ne savait même pas que vous écriviez, etc. la liste est longue et non exhaustive. Ces moments de solitude pendant les réunions de famille... genre : Que fais-tu comme job déjà ? Heu...
♦ Le vide naturel qui s’opère dans votre entourage amical. Comme pour le conjoint, c’est tout blanc ou tout noir, sans autre nuance. Vous aurez ceux qui hausseront les épaules et s’éloigneront, puis les plus rares, ceux qui, même sans comprendre ou partager vos vues, resteront à vos côtés et vous soutiendront contre vents et marées.
♦ Le coup de fil du banquier quand vos droits d’auteur viennent d’être virés sur votre compte et quand, devant son enthousiasme et ses félicitations, vous devrez lui expliquer que cette somme, même rondelette, est bien annuelle et non mensuelle comme il le pensait, que vous ne toucherez rien de plus jusqu’à l’année prochaine. Ah, ces longs silences au téléphone...
♦ Votre voiture rend l’âme, puis vient le tour de l’ordinateur. Facile ! Vous ne pouvez plus vous déplacer et encore moins écrire. Un coup d’œil sur le solde de votre compte vous dissuade d’appeler le banquier. Mieux vaut avoir de la famille et des amis dans ces cas-là !
♦ La renonciation consciente à bien des plaisirs de la vie ! Eh oui, il faut oublier les week-ends, les vacances, les sorties, les bringues, bref, tous ces sacrifices que vous avez pleinement acceptés pour tenter votre chance dans l’écriture. Mais... Qu’en pensent votre conjoint, votre famille, vos amis ? N’oubliez pas que ces gens-là sont de l’autre côté de votre mur. Attention à l’atterrissage, souvent en catastrophe et très douloureux.

Oui, mieux vaut traiter tout cela avec humour et en rire pour ne pas perdre de vue ses objectifs. Tout ce que je cite en vrac ci-dessus, tant en privé qu’en professionnel, nous l’avons tous plus ou moins vécu. Cela dit, comme dans mes textes, je n’aime pas quand ça finit mal. Alors, où est la solution ?

Existe-t-il un remède à la solitude de l’auteur ?
Bien sûr que oui et vous allez voir, c’est super simple.
Si l’on reprend cette notion de mur infranchissable derrière lequel se trouve notre monde qui semble obscur aux autres, impénétrable pour des gens « dits normaux », eh bien... Mieux vaut rester de ce côté du mur, là où vous êtes bien et entouré par les mêmes spécimens - un peu dingues et partageant votre folie - du genre humain !

Pour le côté professionnel, vous verrez que l’on se fait à tout et qu’après des années d’écriture et plusieurs publications, vous vous moquerez des commentaires insultants, vous penserez à faire vos sauvegardes tous les jours et les pages blanches, un simple détail que vous saurez traiter comme tous les autres.
Dans votre vie privée, il suffira de bien vous entourer ou d’avoir la chance d’avoir le bon conjoint, fidèle, patient et compréhensif, la bonne famille qui vous soutient et les bons amis qui restent à vos côtés. Comment ? On ne peut pas tous les choisir ? Je sais bien. Il y a des vérités contre lesquelles on ne peut pas lutter.

En ce qui me concerne, j’ai une chance énorme. Pour commencer, si je n’ai pratiquement plus de famille, le peu qui reste est à mes côtés, m’encourage et m’aide très régulièrement, surtout dans les mauvaises passes. J’ai de bons amis, des vrais, des fidèles qui ne m’ont pas lâché malgré ma folie dévorante et mon investissement dans l’écriture. Je suis donc privilégié, tout du moins sur ces deux points. Ensuite, avec le temps, j’ai tissé des liens étroits avec d’autres auteurs dont j’appréciais la plume et qui maintenant m’apportent beaucoup par leur amitié sincère. Comme nous vivons tous plus ou moins les mêmes problèmes, auprès d’eux je sais pouvoir trouver de l’écoute, du réconfort et souvent des solutions.

Pour résumer le tout, disons que la solution est un subtil mélange entre un tiers de chance, un tiers d’expérience et un tiers d’indépendance. Le travail de l’auteur implique la solitude, que vous le vouliez ou non, et il faudra y faire face, d’une manière ou d’une autre. La liberté que nous convoitons tous et que je chéris tant, a un prix, ne l’oubliez pas et croyez-moi, elle coûte souvent bien plus cher qu’elle ne vous ouvre ses bras.

Alors, toujours envie de devenir auteur ?
Moi, oui. Sans aucune hésitation et malgré le prix.

Belle fin de journée !
Amitiés littéraires.

6 commentaires:

  1. Même s'il ne résout pas tout ce billet il a au moins le mérite de faire voir un peu de la vérité sur le métier des auteurs et accessoirement cela reste valable pour bien des métiers liés à l'écriture...
    Courage Gilles !! :)

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    1. C'est vrai que l'on se fait tout un monde de notre métier et parfois, il est bon de rétablir certaines vérités. C'est un métier de solitaire et il faut le savoir...
      Merci pour ton passage Wanessa.
      Bises amicales.

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  2. Comme vous, aucune hésitation. Jamais. Et pourtant, ô oui, comme c'est dur parfois, surtout quand on est maman.
    Cela dit, j'apprécie la solitude.
    Et puis, surtout, j'ai l'immense chance de partager ma passion avec mon compagnon, écrivain lui aussi. :-)

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    1. Bonjour Olivia,
      Merci pour votre passage et votre petit mot. Effectivement, vous avez mis le doigt dessus et cela vient confirmer ce que je disais dans ce billet. Rester du même côté du mur...
      Au plaisir de vous relire !
      Amitiés.

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  3. Merci pour ce billet Gilles... Comme toujours tes mots touchent par leur sincérité. Je ne peux te dire qu'une chose : continue d'écrire, tu le fais tellement bien.
    Moi, mon pire ennemi, celui qui me met des bâtons dans les roues sans arrêt c'est le temps. Je rêve des journées de 48h ;-)
    Mais je ne lâche pas, même si j'ai conscience que je ne pourrai jamais en faire mon métier, ou en tout cas pas maintenant. Il faut surtout que je fasse des choix car je ne peux pas tout faire, je l'ai réalisé récemment...

    J'ai pris beaucoup de retard dans mes lectures mais je te suis de près. :-)

    Belle journée à toi.
    Amitiés.

    Angélique

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    1. Bonjour Angélique,
      Ah, le temps ! J'aurais pu une parler comme l'une de nos constantes... ennemies ! sourire... Oui, on réalise souvent nos travers par nous-même et si ce n'est pas le cas, c'est la vie qui s'en charge. Tu as raison !
      Ravi de te voir passer ici où tu es toujours la bienvenue.
      Amitiés.

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