Si vous êtes
attentif, vous savez certainement que le Sénat a adopté la loi prohibant le
cumul des 5 % de réduction avec la gratuité de port pour les livres achetés sur
internet, dans le but de protéger nos librairies conventionnelles d’Amazon et
consorts.
Cela peut
paraître une bonne mesure que nous devrions applaudir et pourtant, si l’on y
regarde de plus près avec les bonnes données du problème, nous en sommes très
loin.
■ Que va changer cette loi ?
Si la loi est
promulguée dans son état actuel, cela va simplement obliger Amazon et les
autres, à facturer les frais d’envoi et supprimer la réduction de 5%, autrement
dit, cela revient à augmenter les prix pour contrecarrer une concurrence dite déloyale.
■ Qui sera plus particulièrement concerné ?
Si vous réduisez
notre population à cinq personnes, il y a un francilien pour quatre
provinciaux.
Celui qui habite
en région parisienne ne subira aucune conséquence, la librairie à côté de chez lui
pratiquera les mêmes tarifs qu’avant.
Les quatre
provinciaux se poseront évidemment la question, car ils sont à 50 kilomètres de
la première librairie (Moyenne d’un aller
et retour pour trouver un libraire en dehors de Paris). Pour ces quatre
consommateurs avisés, Amazon et internet resteront la réponse sans alternative pour
la préservation de leur pouvoir d’achat. La légère différence de prix ne
compensera ni le temps, ni les frais d’un déplacement en voiture.
■ Un exemple de prix avant et après la loi ?
Prenez un livre
dont le prix fixe est de 22,50 €. Pour beaucoup d’entre nous, acheter ce livre
à 21,38 € (achat Amazon avec - 5 % et
sans frais d’envoi) est déjà un réel effort.
Si, à cause de
la loi, son prix passait à 28 €, soit son prix normal avec frais de port, cela
pourrait rapidement devenir une impossibilité pour bon nombre d’entre nous.
Quant au même
livre en librairie, pour 20 % de la population, cela ne changera rien. Pour les
80 % restants, il convient d’ajouter aux 22,50 €, le temps en voiture, son usure,
le carburant et les éventuels frais de stationnement, soit environ 30 à 32 €
pour un même livre et sous réserve que l’ouvrage soit en stock et ne nécessite
pas un second déplacement, après sa commande.
■ Quel est donc le bilan prévisible ?
Cette loi est un
coup d’épée dans l’eau qui ne rapportera strictement rien à nos libraires et ne
fera que gréver notre pouvoir d’achat. En avait-il besoin ? En ce temps de
crise où l’on calcule la dépense du moindre euro, je ne le pense pas.
■ Où se situe le problème ?
Le malaise est
bien ailleurs que chez Amazon et ses frais de port gratuits. Seulement voilà, c’est
toujours plus facile de tirer à boulets rouges sur une cible quelconque, jetée
en pâture à un public mal informé.
Dans ce style d’idées
farfelues, j’ai lu dans un article que les éditeurs devraient baisser leur « marge
démesurée » et je n’ai pu qu’en rire ! Je vous rappelle que le
libraire, qu’il soit numérique ou traditionnel, perçoit la plus grosse part du
gâteau, soit environ quatre fois la part de l’auteur et deux fois celle de l’éditeur.
C’est tout à fait normal, pour des raisons de frais de structure, de personnel
et tutti quanti, nul ne peut le contester.
Ajoutez ensuite que
les librairies représentent 45 % des ventes du livre en France contre 10 % pour
les acteurs numériques, le reste se répartissant entre les Fnac, les chaînes de
librairies et la grande distribution. Internet représente donc la part la plus
faible des ventes. Était-ce la bonne cible ?
■ Analyse succincte de la situation
financière des librairies
— 2.500
librairies en France, dont 1.300 pour Paris et région (52 % des points de vente)
— Entre 2005 et
2011, le marché du livre a augmenté de + 2,5 %
— Évolution du
C.A. Librairies au C.A. > 1 M € = + 6,1 % et C.A. < 300 K€ = - 7,1 %
— Les frais de
transport. 2004 = 20 % et 2011 = 26 %
(Tous les grands diffuseurs étant sur Paris,
les frais de gazole sont directement imputés aux libraires par les sociétés de
transport)
— Évolution de
la pression fiscale : De 2005 à 2011 = - 0,2 %
— Évolution de
la marge. 2005 = 32 % et 2011 = 33,5 % soit + 4,69 %
(Cela n’est qu’une moyenne, certaines grandes
librairies dépassent les 38 %)
— Taux de
résultat net divisé par deux depuis 2005
Devant ces
chiffres, on peut s’interroger sur les sources du problème. Un marché qui
évolue, une marge qui progresse, des impôts et taxes allégés, mais le constat
est sans appel. Le résultat net régresse fortement et l’on peut affirmer qu’une
librairie de province, au C.A. inférieur à 300 K€, est quasiment assurée de
baisser le rideau dans les prochaines années pendant que son confrère parisien
au C.A. supérieur à un 1 million d’euros, progressera de 7 à 10 % par an.
Enfin, seulement
8 % des librairies (+/- 200 points de
vente) ont entamé un développement de leur commerce et diffusent maintenant
les œuvres numériques via un site internet.
■ Et qui va payer, finalement ?
Le marché du
livre est complexe et je ne pense pas que cette loi apportera quelque chose de
positif dans la bataille que se livrent certains acteurs, mais une chose
demeure certaine, la loi ne tient pas compte du consommateur final, c'est-à-dire
vous et moi. Ne pouvant nous passer de ce service internet qui nous facilite la
vie, nous allons par conséquent le payer plus cher sans pour autant courir chez
un libraire ! Sauf que... En période de crise, l’effet de cette loi peut
rapidement devenir pervers et il y a fort à parier que certains renonceront à
lire.
■ Faut-il vraiment user de protectionnisme
pour les librairies traditionnelles ?
Bien sûr que oui
mais certainement pas en tapant sur la concurrence qui ne leur fait pas
vraiment de mal. Les chiffres sont suffisamment parlants et nulle part, le
syndicat du livre ne fait mention d’une baisse vertigineuse et généralisée de
leurs chiffres d’affaires mais bel et bien d’une belle hausse pour les grandes
librairies et d’une baisse croissante pour les plus petites.
Maintenant, je
suis le premier à vanter les mérites de nos libraires, car ce sont de vrais passionnés
et leurs conseils sont véritablement indispensables. Ils domineront toujours de
la tête et des épaules le vide absolu, froid et impersonnel d’une boutique en
ligne sur internet. Il ne faut pas nier de telles évidences.
Prenez l’exemple
de la librairie Decitre existant depuis 1907 en Rhône – Alpes. 9 points de
vente, 350 collaborateurs, une offre numérique complète via un site ouvert
depuis 15 ans, 6 millions de livres vendus par an, 1,5 million d’internaute
tous les mois et un C.A. en constante progression. Est-ce qu’Amazon les dérange ?
Non. Ils se sont simplement adaptés aux impératifs d’un marché qui évolue
régulièrement et principalement à l’offre numérique.
■ Librairies et Amazon, est-ce vraiment la
guerre ?
C’est
apparemment ce que l’on veut nous faire croire. Pourtant, je maintiens que ces
deux protagonistes sont aussi complémentaires que la version numérique d’un
livre peut l’être à son homologue en papier. Ils visent deux clientèles diamétralement
opposées et pour le moins, différentes par ses moyens financiers et
principalement, par sa géolocalisation. Un protectionnisme inutile et absurde finira
par nuire à la diversité culturelle et grèvera finalement toujours les mêmes,
creusant ainsi un peu plus l’écart entre ceux qui peuvent et ceux qui
voudraient. La culture en général et la littérature en particulier
doivent-elles devenir des luxes accessibles à une seule élite (parisienne) ou complètement ouverte au
plus grand nombre ?
C’est sans nul
doute cela, la bonne question.
■ Alors, en conclusion ?
Je vous rassure,
Amazon, comme les librairies traditionnelles, ne se porteront pas plus mal
après cette loi et de façon certaine, aucun professionnel ne verra ses bénéfices
augmenter ou diminuer de façon significative.
Par contre, si
vous vivez en province, votre porte-monnaie et le mien pèseront un peu moins
lourd dans nos poches. Autrement dit, les amis, déménagez à Paris si vous aimez
lire. Comme quoi, malgré ce que l’on nous dit, nous sommes bien loin du prix
unique du livre et cette loi ne fera que creuser encore plus l’écart même si
les apparences disent le contraire.
Personnellement,
je préfère la Provence, j’aime toujours autant mon libraire même s’il est à 28
kilomètres de chez moi et je conserve mon compte Amazon dans mon ordinateur...
Bon week-end !
Amitiés littéraires.
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